Le point sur mon mémoire

Ca y est, enfin il est imprimé, relié, remis dans le casier de mon cher professeur référent… Et il est beau ! Après deux semaines d’intense travail où je ne suis pratiquement pas sortie, après des mois de travail et des heures passées aux Archives nationales, j’ai fini par rédiger une cinquantaine de pages sur « Le document de gestion de la seigneurie de Mortagne à la fin du XIIIème siècle ». Je vous propose donc un petit résumé de mon « chef d’œuvre ».

À l’origine de notre étude, un article d’Armand d’Herbomez, intitulé « Un livre de raisonCarte Mortagne zoom nb
au XIIIe siècle », paru en 1894 dans la revue Messager des sciences historiques de Belgique. Cet historien a étudié toutes les archives concernant la seigneurie de Mortagne et de Tournai, situées à la frontière entre la France et la Belgique.  Et en parcourant celles des Archives nationales à Paris, il est tombé sur ce manuscrit, mais n’en a fait qu’un article. Il décrit son fond et sa forme, et je suis partie de ses analyses pour rédiger mon mémoire.

D’ailleurs, n’étant qu’en master 1 d’histoire médiévale, je n’ai eu qu’un mémoire d’étape à rédiger, donc c’est assez raisonnable niveau rédaction, seulement trente pages maximum demandées, à quoi se rajoutent les annexes et la bibliographie.

Le mémoire s’est articulé en quatre grandes parties. Comme Armand d’Herbomez a définit le manuscrit comme un « livre de raison« , j’ai étudié l’historiographie de ce type de document, pour faire le point sur les différents éléments de définition. A partir de ces éléments j’en suis arrivée à qualifier d’anachronique le choix d’appellation de l’historien. En effet, les livres de raison concernent surtout des manuscrits datant au minimum du XVe-XVIe siècle, et concernent des familles bourgeoises et urbaines. Or ce manuscrit rapporte la gestion d’une seigneurie laïque et non les affaires d’une famille, et date de la fin du XIIIe siècle. J’en suis donc arrivée à proposer une redéfinition à partir des travaux de Paul Bertrand, et parler de mon manuscrit comme « un registre de perception aux cens et aux rentes ».

Dans un second temps j’ai fait le point sur le contexte géographique, la région de Tournai à la frontière entre la Flandre et le royaume de France, et historique, notamment avec les conflits entre le comte de Flandre et le roi Philippe le Bel. Je me suis ensuite concentrée sur l’histoire de la seigneurie de Mortagne en prenant comme bornes les années mentionnées dans le manuscrit, de 1271 à 1300. Fait important, le seigneur Jehan (je garde son prénom à la mode français médiéval) est mort en 1279 avec pour seule héritière sa fille Marie, encore mineure, à priori même pas dix ans. Ses oncles deviennent donc ses tuteurs et gèrent la seigneurie à sa place jusqu’à sa majorité, à priori en 1291. Un point intéressant de l’histoire de la seigneurie de Mortagne est la façon dont elle fut cédée au roi de France en 1313-1314, racontée par l’historien Robert Fawtier comme « l’anecdote de la Dame de Mortagne« .

sceau


Sceau de Marie de Mortagne, rattaché à une lettre adressée au roi de France en 1303, (Archives nationales, J529 n°42)

Dans une troisième partie j’ai décrit le manuscrit à l’aide de la codicologie, la science de description des manuscrits. Le manuscrit mesure 24,5 cm de haut et 18 cm de large, et il est composé de 40 feuillets de parchemin, dont une dizaine sont restés blancs, sans inscriptions ni écritures. Il a une jolie couverture en parchemin non dégrossi qui relie ses sept cahiers. Son organisation interne est intéressante, avec une table des matières, six petits marque-pages, des signets en queue de charte plus précisément, et trois petites cordelettes entre certains feuillets. Particularité de ce manuscrit, il est rédigé en ancien français et en ancien picard. A la fin du XIIIème siècle la langue vulgaire est assez peu présente dans les actes, mais c’est là le résultat de l’influence française sur la région.

signets

Un des signets de queue de chartes, sur la « value des winage »

Un des mystères de ce manuscrit est la question de son rédacteur. On n’observe aucune mention d’auteur ou de signature. Dans le manuscrit, plusieurs mains sont différenciables, selon les folios, à priori deux voire trois. J’ai dressé un tableau (sur Excel, je n’ai pas eu le temps de faire une vraie base de données) en relevant les différences entre les mains selon les folios. Par contre j’ai peut être un indice sur son commanditaire, qui pourrait être Othon Le Brun deuxième du nom, une sorte d’intendant de la seigneurie.

Enfin, j’ai analysé certaines parties du manuscrit, tout d’abord la table des matières comme outil d’accès et d’organisation du manuscrit. Puis je me suis concentré sur certains des revenus de la seigneurie rapportés dans ce registre, comme le droit de winage (l’ancien picard adore les w), une sorte de droit de douane. Puis j’ai étudié deux sections particulières du manuscrit, la section des salaires octroyés aux employés de la seigneurie ainsi celle des inventaires de cuisine. Enfin, j’ai essayé de comprendre pourquoi ce manuscrit a été réalisé, en postulant plusieurs hypothèses sur la mise par écrit du réel.

33a bis


Le folio 33a, les inventaires de cuisine.

Première hypothèse, les cahiers ont été rassemblés et reliés entre eux par un archiviste royal, au moment de l’entrée des archives de la seigneurie de Mortagne dans le Trésor de Chartes en 1314. Deuxième hypothèse, le codex a été relié dès l’origine avec des cahiers vierges et pour la plupart préparés, le manque d’unité entre les tailles des cahiers étant commun pour ce genre de documents, et on a écrit dedans au fur et à mesure, probablement vers 1300, faisant la compilation d’autres manuscrits. Et dernière hypothèse, les cahiers ont été compilés en 1300 par l’intendant de la seigneurie, peut être Othon Le Brun, pour faire le point sur les revenus accumulés pendant les dernières 27 années, avec une mise au propre d’autres documents, à un moment de crise.

Je n’ai clairement pas fini d’analyser tout ce document, le travail paléographique, c’est-à-dire déchiffrer l’écriture médiévale, étant loin d’être fini. Retranscrire tout le manuscrit sera fondamental pour la suite du travail, d’une part pour vérifier les hypothèses émises tout au long de ce mémoire d’étapes, surtout celles énoncées sur la raison d’être de ce manuscrit, d’autre part pour dresser un état des lieux le plus précis possible des finances de la seigneurie, par type de revenu et par année.

Mais je ne sais pas encore si je poursuis les recherches l’année prochaine. Je ne veux pas trop m’éloigner de la voie du journalisme, que je rejoins d’ici quelques semaines en travaillant pour une émission de radio au mois de juillet. En attendant, si vous avez des questions ou des remarques n’hésitez pas à les laisser en commentaire !

Fanny Cohen Moreau

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